De la SODEVA aux DAC en passant par le plan REVA et la GOANA, notre pays n’a jusqu’à présent pas réussi à intéresser les jeunes à l’agriculture, à l’auto-emploi, au retour aux terroirs pour les développer. Nous avons une population très jeunes 65 à 75% de la population, des terres arables de l’ordre de 3,4 Millions d’ha dont 2,5 Millions sont emblavés en moyenne par an. Comment comprendre que le Sénégal soit encore dans le double paradoxe de devoir importer une bonne partie de ses moyens de subsistance en important des produits agricoles ? Combien d’agences pour l’emploi des jeunes pour un résultat presque nul ? Et si le problème était avant tout subjectif, c’est-à-dire psychologique et non objectif ?
L’Etat sénégalais se gargarise aujourd’hui d’avoir signé des conventions (dont les détails en termes financiers ne sont pas encore connus) pour envoyer des milliers de jeunes au Qatar et en Espagne pour des emplois saisonniers ou en tant que techniciens ou scientifiques (sic). Si pour la destination Espagne, l’essentiel des contingents vont travailler dans les champs, au Qatar, on prétend avoir besoin de techniciens et de scientifiques. On ne sait pas depuis quand les Sénégalais ont suffisamment de scientifiques et de techniciens pour se payer le luxe d’en exporter, mais cette annonce est on ne peut plus improbable. Quant à la destination Espagne, le moins que l’on puisse dire est qu’elle ressemble à aveu d’impuissance : un gouvernement qui a du leadership et qui a une vision capable de fédérer les jeunes devrait trouver les mots et les moyens de convaincre les jeunes à retourner dans leur terroir pour les sortir de la pauvreté et de l’asymétrie entre besoins primaires et solutions proposées. L’Espagne doit pouvoir trouver des solutions à son besoin de main-d’œuvre en facilitant l’octroi des visas aux Africains, il faut donc se demander pourquoi et à quel prix signe-t-elle une convention avec notre pays pour la fourniture de travailleurs ?
À mon avis l’État ne devrait pas se mêler de ça. Ce n’est bon ni pour son image ni pour la psychologie des jeunes. Je suis foncièrement contre l’émigration clandestine, mais j’ai honte de voir mon État signer un tel bail avec un pays hôte. Le rôle de l’État n’est pas de chercher des emplois à ses ressortissants hors du pays, c’est de les maintenir ou de leur imposer des normes d’émigration régulière. Le visa de sortie a existé au Sénégal, il n’est pas question de le faire revenir, mais d’empêcher l’émigration sauvage par des moyens que nous contrôlons.
Les images infâmantes d’africains qui meurent sur les côtes de la Méditerranée sont certes insoutenables, mais voir un Etat fournir officiellement de la main-d’œuvre à un autre, c’est toujours avilissant. Les chaînes de l’esclave ne sont pas toujours brisées et nous voilà en train d’entretenir l’image du noir damné de la terre entière. L’impact psychologique de cet accord sur les jeunes n’est pas positif : c’est l’aveu d’une incapacité à prendre en main la situation, l’aveu d’une incompétence à fixer les jeunes dans ce pays
Un père de famille qui s’entend avec les voisins pour leur envoyer ses enfants travailler n’offense certes pas la dignité, mais il est en train de leur signifier qu’il ne peut rien pour eux, qu’ils n’ont pas d’avenir chez lui, que l’avenir est bouché. Il faut convaincre les jeunes de retourner dans les champs, d’accepter de faire leur la morale du travail, la vertu de la patience et de l’investissement à long terme. La culture de la consommation outrancière, des cérémonies fastes et du gaspillage doit être infléchie à défaut d’être abolie. Il faut dire aux jeunes la vérité au lieu de leur vendre un rêve chimérique : ce sera dur et lent, mais c’est la voie.
Il se pourrait très bien que le problème soit d’abord humain, psychologique : les Sénégalais sont-ils disposés à travailler dur et dans la patience pour rester au pays et enclencher le processus de transformation sociale et économique ? Le phénomène des Jakarta nous donne une idée sur le caractère du jeune sénégalais : il est de plus en plus difficile aujourd’hui aux chefs de garage de trouver des apprentis. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cela, mais les mœurs sociales et la culture doivent être interrogées pour comprendre cette anomalie. C’est évidemment plus facile d’incriminer les gouvernants, mais il y a une grande part de responsabilité à imputer aux citoyens que nous sommes. La culture du gain facile et immédiat ne mène nulle part, il faut la combattre par l’éducation. Il faut retrouver la connexion entre l’école et l’agriculture ; entre l’école et le marché de l’emploi (le monde des entreprises) ; entre la culture et l’économie.
Il nous faut des Volontaires de l’agriculture en nous inspirant de ce que Roosevelt a fait Etats-Unis en Mars 1933. Pour lutter contre le chômage Roosevelt présente au Congrès CCC (Civilian conservation corps). Il s’agissait pour lui de faire d’une pierre deux coups. En effet, pour lutter contre le chômage dû la dépression, ce projet a recruté 250 mille jeunes de 18 à 25 ans avec comme mission de reboiser les forêts, d’assécher les marais, de construire des routes. En échange d’un salaire de 30 dollars par mois, dont 25 sont envoyés à leur famille, ces jeunes ont accompli des miracles qui ont pu profiter aux fermiers durement touchés par la crise. Rien ne s’oppose à ce que cet exemple soit calqué dans notre pays pour lutter contre ce grand fléau qu’est le désert. On peut le faire dans ce pays en revisitant l’esprit de la SODEVA, du plan REVA, de la GOANA, du PRODAC, etc.
Mettre davantage en valeur le fleuve Sénégal n’est pas mission impossible : il faut s’appuyer sur la culture pour y arriver. Le mode de financement communautaire par exemple devrait être intégré dans les dynamiques de développement. Signer un bail de quelques années avec des Dahira ou des Khalifs pour exploiter des terres de la vallée serait déjà une démarche innovante pour ancrer l’économie dans notre culture. Cette trouvaille ne devrait pas susciter des problèmes avec les populations autochtones si l’Etat prend les devants pour communiquer efficacement avec les habitants de la zone.
Alassane K KITANE